Concernant l’autisme, la France vit depuis quelques années une période particulièrement agitée. Relayées par les médias, les associations de parents d’enfants avec autisme, désespérées et de plus en plus nombreuses, déclarent la guerre à l’approche psychanalytique et psychiatrique de l’autisme et répondent par les méthodes éducatives scientifiques comportementalistes efficaces (Behaviorisme). Prônant la provenance de l’autisme comme une maladie mentale (génétique) et non une pathologie ou une psychose, ces associations accusent la France d’avoir un immense retard, en comparaison du reste de l’Europe, dans sa prise en charge des enfants avec autisme : manque de diagnostics, de formations, de financements dans les recherches, de structures adaptées, etc. Gérés économiquement de façon inhumaine, le cas des centres privés de « parquage » pour autistes en Belgique est un triste exemple. En effet, l’état français préfère exiler les enfants avec autisme, les séparant de leur parents pour des coûts exorbitants, au lieu de créer de nouvelles structures adaptées moins onéreuses et générer de l’emploi sur son propre sol. Sans parler bien entendu du cauchemar de certains hôpitaux psychiatriques, comme une solution absurde à l’ingérence : enfermement et camisole chimique. Même si l’on peut voir aujourd’hui de nets progrès dans la prise en charge d’enfants avec autisme et une réelle avancée sur les diagnostics, la situation reste catastrophique d’un point de vue institutionnel.
En bordure de toutes ces polémiques médiatisées, alors que leur voix ont toujours été éteintes ou marginalisées, des personnalités avec autisme, souvent diagnostiquées Asperger, nous livrent leurs autobiographies, témoignant de leur vie d’autiste et tentent une approche plus humaine avec le grand public. Ce sont des écrivains comme, Daniel Tammet, Temple Grandin ou encore Joseph Schovanec, qui pour la première fois utilise en clin d’oeil aux lecteurs les termes de « citoyens d’Autistan » et revendique ainsi une forme militante de culture autistique.
Depuis le film Rain Man,le grand public assimile souvent l’autisme au syndrome d’Asperger. Les médias relaient cette image par un aspect spectaculaire : grands savants excentriques, incroyables mathématiciens ou musiciens aux oreilles absolues. Albert Einstein et Bill Gates seraient des autistes Asperger. Ça fait rêver. Pour ceux que l’on voit moins, voire pas du tout, les médias représentent le reste des « déficients » en marge comme des malades mentaux qu’on peine, faute à leur mutisme, à rencontrer et éduquer.
Dernièrement, Hélène Babouillec Sp (sans parole) écrit son Algorithme éponyme et sort en 2016 un livre bouleversant de lucidité sur notre société. Elle prouve aussi ni plus ni moins qu’elle est consciente, qu’elle l’a toujours été et qu’elle voit clair. Elle, une autiste que les experts qualifiaient anciennement de déficitaire profonde, est et a toujours été une femme qui se questionne sur notre société et sur sa condition d’autiste intrinsèque. Ainsi, Babouillec redéfinit purement et simplement la représentation contemporaine de l’autisme et rajoute un nouveau mystère quant à sa provenance et son développement, dont nous ne savons finalement que si peu de choses.
Inspirée par les recherches anti-psychiatriques du penseur et éducateur Fernand Deligny, l’association française J’interviendrais, fondée en 1973 par René Demichelis, offre aux enfants autistes profonds de vivre le temps de leurs vacances en collectivité dans différentes maisons de campagne. Hors des murs des institutions, nous marchons en pleine nature et sortons des sentiers battus pour traverser des torrents sauvages ou faire des dessins à la craie sur les murs des maisons abandonnées. Pour eux, des vacances. Pour nous, un voyage.
Autistan, pays au grand désert édulcoré inatteignable. Au sein de cette tribu à part, la communication avec ces enfants, non-verbaux pour la plupart, n’est pas innée. Elle se crée. Elle est unique pour chacun, il n’y a aucun mode d’emploi. L’immersion est puissante, le travail est épuisant. En l’absence d’hypocrisie, le mensonge, ici, se paye au prix fort. Vrais, brutes, sauvages, les enfants se balancent entre présence et absence, douceur pure et ultra violence. L’idée est de trouver une porte d’entrée qu’ils nous entre-ouvrent s’ils le souhaitent. Jamais elle n’est forcée.
Le travail de portrait photographique a pris tout son sens avec David, enfant « nomade » renvoyé des institutions. « Incurable, insupportable, invivable » disaient les experts. Il atteignait dix-huit ans et semblait n’en avoir que quatre. Un an plus tard, plus aucune nouvelle de David. Les établissements belges, où sont exilés de nombreux enfants côtoyés en séjour, restaient silencieux. David avait disparu. Il ne laissait comme trace que des marques de violence et des souvenirs de rires aux larmes. Et une image aussi.